Le mardi 22 novembre 2016, une plate-forme composée des mouvements citoyens Lucha et Filimbi, des ligues des jeunes du Rassemblement et du MLC a lancé une campagne dénommée « Bye bye Kabila », en prévision du 19 décembre 2016 à 23h59, jour, heure et minute de la fin du deuxième et dernier mandat de monsieur Joseph Kabila à la tête du pays.
Ce mouvement contribuera-t-il à la chute du régime, ou le régime aura-t-il suffisamment de ressources pour rebondir ?
Le coup asséné à la MP, la minorité au pouvoir a été si percutant qu'une proche du Président sortant a été contrainte de réagir aux déclarations des jeunes.
En effet, quelques jours plus tôt, lors de son ultime message à la Nation, le Président Kabila avaient donné le bilan de ses quinze ans de pouvoir avec des promesses pour les jeunes. Les jeunes avaient ironisé sur RFI :
« Oser prétendre la mise en place de stratégies à 29 jours de la fin de son mandat, quel manque de considération et de responsabilité ». Et dans la réplique de la conseillère de la présidence ce bout de phrase était sorti :« en tout cas la volonté elle est là .
Hasard de calendrier, la veille à Bruxelles, l'ancien Sous-Secrétaire d’État américain aux affaires africaines présentait son livre : « L'ESPRIT de L'HOMME FORT AFRICAIN, Mémoires d'un Diplomate ». Et dans ce livre, nous avons épinglé cette phrase à propos de la jeunesse africaine :
«… aux Africains de faire face à la réalité et d'évoluer vers une bonne gouvernance, avant que leur population croissante de jeunes sans emploi ne constitue pour eux une bombe à retardement.. »
La phrase du diplomate américain doit être prise au sérieux car elle a été écrite in tempore non suspecto.
Et lors de sa conférence, Herman Cohen a fait allusion à une autre activité des jeunes : le chant « Kabila o yebela, mandat esili » chant entonné dans les stades ou lors des victoires de l'équipe nationale, les Léopards.
Durant son règne, Joseph Kabila a-t-il réussi à désamorcer cette bombe à retardement qu'est la jeunesse ?
De 2001 à 2016, combien de jeunes congolais ont atteint 18 ans, la majorité ?
Dans quelles conditions ont-ils étudié du primaire à l'Université ?
À l'issue des études de ceux qui ont pu les achever, combien ont eu un emploi conforme à leurs profils ?
Depuis 2001, dans quelles conditions sociales tous ces jeunes vivent-ils grâce aux prouesses du gouvernement:
- Logement,
- Transport,
- Alimentation,
- Soins de santé,
- Accès à l'eau potable,
- Accès à l'énergie électrique,
- Accès à l'information objective,
- Accès au loisir et à la culture,
- Accès à l'Internet et maintenant aux réseaux sociaux,
- Sécurité des biens et des personnes,
- Justice équitable,
- Administration non corrompue…
Les fins de règne présentent souvent des similitudes troublantes.
En 1996, un an avant la chute de Mobutu, notre troupe de théâtre, le Théâtre ORCAN avait réussi à signer avec le Centre Culturel Américain de Kinshasa un contrat d'achats de plusieurs représentations de notre spectacle « Voyage de Nègres au bout de la démocratie » pour une grande tournée dans les Universités et les Instituts supérieurs.
Voici un extrait d'une réplique de ce spectacle :
Le peuple :
« Nous pensons qu'au delà de ce que nous endurons, ce ne sera plus supportable.
Cela commence le jour même de la naissance.
Ne survit que celui qui a de la chance,
Et qui naît dans un hôpital sinon,
Même alors, il faut qu'il y ait un corps médical motivé, sinon…
Dans le cas peu probable où cela serait, il faut qu'il y ait des médicaments, sinon…
S'il y a des médicaments, ils valent plusieurs fois le salaire du père.
L'enfant qui atteint un an d'âge,
Une fois éloigné du sein de sa mère,
Il lui faudra trouver à manger sinon…
S'il trouve à manger, dès qu'il a six ans,
Il faudra trouver une école, une bonne école. Sinon…
S'il trouve une bonne école, il faudra payer tous les frais durant des années. Sinon…
S'il paie tous les frais et termine les études,
Il lui faudra un emploi rémunérateur sinon...
C'est la marche à pieds tous les jours,
Un taudis comme logement,
Une femme mal entretenue,
Des enfants mal nourris, maigrichons, maladifs…
Et le cycle recommence pour les enfants... »
(Tirée de « Voyage de Nègres au bout de la démocratie. » Écrit et mis en scène par Cheik FITA, jouée par le Théâtre ORCAN à Kinshasa en 1996 et 1997. Inédit)
Les enfants dont il est question dans cette pièce, s'ils étaient nés en 1996, ils ont aujourd'hui 20 ans.
Joseph Kabila de 2016 a-t-il fait mieux que Mobutu de 1996 ?
Ces enfants-là, ce sont ceux qui chantent « Yebela » dans les stades. Y a-t-il une force capable de les dompter d'ici le 19 décembre 2016 ? Et pour longtemps ?
Au lieu de les affronter, il serait plus sage d'écouter leur message et de s'y conformer. Ils sont la majorité du Congo.
Se conformer au message de ces jeunes est peut-être la seule façon de désamorcer cette bombe-là. Sinon...
Bruxelles, le 25 novembre 2016
Cheik FITA