L’ancien Premier ministre congolais Adolphe Muzito était face à la presse le mercredi 6 juin 2018 au Press Club Brussels Europe. A six mois des élections, les différentes rencontres hommes politiques congolais-presse donnent lieu à de chaudes empoignades.
Ceux qui avaient géré avec Kabila ont chacun une part de responsabilité: des bilans à présenter, des responsabilités à assumer.
C'est le cas d'Adolphe Muzito.
La rencontre de Bruxelles Muzito-presse qui a duré près de deux heures trente a tenu toutes ses promesses.
Tous les sujets ont été abordés :
- Le repositionnement des politiciens congolais,
- Les réniements,
- Les entraves au processus électoral,
- « L’occupation » du pays,
- La transumance des vaches venues de l’Est et actuellement parquées dans l’ex-Bandundu,
- La gestion de Muzito quand il était aux affaires,
- Sa position dans son propre parti….
Adolphe Muzito a déjà annoncé qu’il serait candidat à la présidentielle congolaise de décembre 2018.
Si depuis Kinshasa où il vit il publie régulièrement une tribune dans la presse écrite, en Europe, il est déjà passé dans les grands médias francophones pour parler de sa candidature et donner son analyse de la situation politique congolaise du moment.
Après l’ancien gouverneur du Katanga Moïse Katumbi président de la plate-forme « Ensemble », c’est le deuxième candidat ayant travaillé avec Joseph Kabila qui ose affronter la presse congolaise de l’étranger.
D’entrée de jeu, Adolphe Muzito a voulu fixer les règles de jeu.
Il a commencé sa communication en se référant une de ses dernières tribunes.
Ci-dessous de grands extraits de sa communication introductive :
« J’ai fait une tribune où je parlais du dialogue vertical où je relevais le fait que notre pays comme la plupart des pays africains, on nous a vendu la démocratie par les élections. Ce n’est que quand il n’y a pas élections qu’on se rend compte qu’il y a crise. Et comme les élections intéressent les acteurs politiques précisément, quand ils ne peuvent conserver le pouvoir ou quand ils ne peuvent pas arriver au pouvoir du fait de la non-organisation des élections, ça devient une crise et ils se retrouvent quand le cycle électoral est à son terme et les dictateurs ne voulant pas laisser le pouvoir ; ils convient tout le monde en dehors du cadre juridique c’est à dire des institutions , en créant de par les textes un cadre qui lui permet de négocier avec les autres pour obtenir qu’ils acceptent de partager avec lui le pouvoir. De telle sorte que chez nous, le dialogue devient cyclique. Et pour moi le dialogue n’est pas une solution mais au contraire c’est un problème. C’est un espace qu’on crée pour violer les textes… »
« …Notre pays est faible, les élections qui ne s’organisent pas ne sont qu’une conséquence de ce que la démocratie n’existe pas . et la démocratie qui n’existe pas c’est aussi le fait de la presse comme corps intermédiaire ou comme corps social.
Ce qui se passe chez nous ne peut pas se passer en occident non seulement parce que la République fonctionne en ce qu’elle est :
Premièrement un régime social de ce que le pouvoir vient des gens d’en bas vers le haut, ça vient du peuple, mais aussi elle est caractérisée par la séparation du pouvoir qui fait que les trois pouvoirs traditionnels se contrôlent mutuellement, se sanctionnent mutuellement . et quand ces trois pouvoirs ne fonctionnent pas… »
La non organisation des élections c’est aussi l’expression du dysfonctionnement de la démocratie.
La démocratie c’est aussi, non seulement la République en qu’elle organise les trois pouvoirs qui doivent se contrôler mutuellement,
Ici en occident, on ne peut pas imaginer que l’exécutif n’organise pas les élections . tout simplement parce qu’il y a un pouvoir législatif qui va le mettre en accusation, et il y a un pouvoir judiciaire indépendant qui va le sanctionner. Qui sanctionne l’exécutif.
Chez nous ça n’existe pas pour des raisons extérieures que nous connaissons.
Ensuite il n’y a pas de rapport de force , il n’y a pas un corps intermédiaire.
La presse on ne joue pas avec.
Aujourd’hui Trump vous l’amenez au Congo ça va être un dictateur parce qu’il n’y a pas une presse pour mettre la main dessus quand il plaisante. Il n’y a pas un pouvoir judiciaire qui peut le mettre en accusation.
Donc la non-organisation des élections .ce n’est pas justifier le fait qu’on ait pas organisé les élections de la part des gens au pouvoir… »
« La République veut aussi qu’après des guerres, des rapports de force, les gens ont compris que pour arrêter de s’entretuer, il faut séparer les pouvoirs :
celui qui a l’exécutif n’a pas tous les pouvoirs et on peut le punir à tout moment.
Nous n’en sommes pas encore là. Voilà l’une des raisons .
Et quelle est la solution proposée par Adolphe Muzito ?
« J’ai institué une université populaire avec l’une des formules dont le dialogue vertical, je voulais relever les faiblesses qu’il y a entre le sommet et la base à travers le déficit des corps sociaux dont la presse.
C’est une crise sociétale . Et je me réjouis que vous ici, vous vous battez pour essayer de combler ce vide … »
Et pour conclure, Adolphe Muzito a proposé un canevas pour l’échange avec la presse :
« Je voudrais principalement, si ça ne vous dérange pas
Qu’on parle de la crise politique, qu’on en évoque aussi les causes économiques, mais aussi les conséquences économiques. Pour moi il y a trois crises qui se tiennent mutuellement, qui s’impliquent aussi mutuellement. »
Durant l’échange Adolphe Muzito montrera chiffres à l’appui ses réalisations économiques pour le pays, diminution de la dette, stabilisation de la monnaie, augmentation des salaires…
En comparaison à ses successeurs, Adolphe Muzito affirmera qu’il aura été le plus performant. Et si par la suite Matata Ponyo son successeur avait connu quelques réussites, c’est en s’appuyant sur les acquis trouvés.
Et du point de vue de sa responsabilité politique ? Adolphe Muzito ayant été Premier Ministre de Joseph Kabila, avait-il une responsabilité dans la crise politique actuelle ?
L’Info en Ligne des Congolais de Belgique lui posera à ce propos la longue que voici, et plus bas, sa réponse.
Question
« Avant de poser ma question, j’aimerai partager avec vous cette pensée qui est de moi, je cite :
« Un homme politique est un homme de convictions. Quand il pose un acte politique, il assume et s’assume. »
Même plusieurs années après , à la question « Si c’était à refaire, le referiez-vous ?
Il répondra : Oui.
Voici ma question.
Le samedi 15 janvier 2011, le parlement congolais votait une révision constitutionnelle faisant passer la présidentielle de deux tours à un tour.
Sans être exhaustif, voici quelques conséquences sur notre pays de cette révision constitutionnelle :
- Monsieur Joseph Kabila a pu s’offrir un deuxième mandat grâce au hold-up électoral, au détriment de son principal challenger dont le corps se trouve toujours dans un funérarium à quelques kilomètres de l’endroit où vous et moi sommes. S’il y avait eu deux tours, même en bourrant les urnes, Joseph Kabila n’aurait jamais été réélu.
- A l’issue de ce deuxième mandat issu d’un hold-up, monsieur Joseph Kabila a sabordé l’organisation des élections. Deux ans après, il se cramponne toujours à la tête du pays.
- Les élections que nous attendons et auxquelles vous espérez sortir Président sont plombées par plusieurs pesanteurs : machine à tricher, loi électorale liberticide, cour constitutionnelle noyauté…
- Citons aussi les milliers de Congolais sont morts ou ont été déplacés…
Voici donc ma question :
Quand la constitution fut révisée à la hussarde, c’est le gouvernement dont vous étiez Premier Ministre qui avait élaboré le projet de révision constitutionnelle.
Dites-moi monsieur Muzito, assumez-vous ce qui semble ? Et si c’était à refaire, vous le referiez ?
Merci. »
Réponse :
« Les postulats, je ne les partage pas.
Parce que je peux avoir une vision, une compréhension et me tromper. On ne peut refuser à quelqu’un la possibilité et surtout le droit de se tromper. Pour que quand je me trompe, je ne puisse pas reconnaître que je me trompe.
Je pense que pour avoir soutenu cette idée, ce n’est pas seulement de la responsabilité de mon gouvernement, et aussi de ma personne parce que j’ai soutenu cette idée, je m’étais trompé , j’assume face au peuple . j’ai le droit de me tromper, de mal apprécier les éléments en son temps. Ce n’est pas bon, ça ne nous donne pas la possibilité de fédérer après que les différentes forces politiques se soient déchargées et ramener à l’évidence que , après s’être exprimés ils n’ont pas eu la majorité et qu’ils doivent composer autour d’un candidat. C’est beaucoup plus démocratique d’aller avec toutes ces difficultés que nous avons viennent de ce fait là. On est dans un système de « la mort subite ».
Ça ne permet pas aux gens d’aller au premier tour en tant que parti et de se défouler et constater après qu’ils doivent être fédérés par un candidat ou par un projet. Donc j’assume cette mauvaise appréciation et je reconnais que…
Il y en a qui considèrent que c’est bon. Peut-être c’est une attitude partisane ou alors une attitude réfléchie ou rationnelle, quitte en en donner les arguments. Donc j’assume.
Quand je dis que je n’accepte pas le postulat, c’est que quand on s’est trompé , on doit dire non qu’on s’est trompé pour montrer qu’on est un homme de conviction. Non au contraire, même en ayant des convictions, on peut se tromper dans ses convictions. Il faut avoir l’honnêteté intellectuelle de reconnaître pour autant qu’on a constaté réellement qu’on est convaincu qu’on s’était trompé ».
Bruxelles, le 7 juin 2018
Cheik FITA
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