Nous étions un peu moins de vingt nègres et négresses au milieu de près de trois cent spectateurs blancs dans la salle du théâtre de poche de Bruxelles ce samedi 5 mai 2007.
A l’affiche, la pièce « Verre cassé » de l’auteur Alain Mabanckou du Congo-Brazzaville en dernière représentation pour le printemps, et jouée par quatre comédiens du Congo-Kinshasa, sous la direction d’un metteur en scène belge.
De bout en bout, le public s’est régalé par le récit, le style assez comique et bien entendu par les différents thèmes abordés… sans tabou : dictature, relations blancs-noirs, sectes religieux, conflits conjugaux, infidélité, débauche, prostitution…
Quand il fallait parler des histoires de cul, le texte n’a pas été tendre. Tout y est passé, les roucoulements, les gémissements accompagnant l’orgasme, les positions pour « raboter » sa partenaire, les dimensions de l’organe male…Circonstances atténuantes, tous ces récits sortent de la bouche de gens qui ont pris un verre, peut-être de trop et … Dans un débit de boisson pas fameux du tout.
Il y avait là dans la salle ceux qui étaient venus en couple, en famille, en groupe d’amis. Les réactions parfois gênées, étaient assez révélatrices.
Et les comédiens y sont aussi allés de tout leur talent : un jeu irréprochable optimisant les différentes ressources de l’interprétation dramatique, une très bonne maîtrise de la scène et du public. Et les longs applaudissements de la fin ont été largement mérités.
Le metteur en scène quant à lui a pu réussir à faire cohabiter dans le corps de chacun des comédiens la spontanéité congolaise et la rigueur cartésienne européenne : efficacité, concision, clarté. Tout en laissant les comédiens la possibilité d’être eux-mêmes, il a su, à partir des matériaux africains, créer des personnages universels.
En attendant la dédicace d’un livre par un des acteurs, une dame blanche, la soixantaine révolue, nous lancera amusée : « Nous en avons eu pour notre grade ! » Et sa copine d’ajouter rapidement : « Oui, il y en a eu pour tout le monde. »
Il sied d’ajouter que ce spectacle a eu la chance d’être monté et de voyager grâce au projet YAMBI 2007 soutenu par le Ministère de la communauté française de Belgique et le CGRI, commissariat général belge des relations internationales.
La culture étant un puissant moyen de rapprochement entre les peuples, Nous souhaitons qu’au-delà des calculs politiques qui l’avaient enfantée, cette expérience ne s’arrête pas en chemin, qu’elle puisse davantage rapprocher les Belges, et des Congolais du Congo et surtout des Congolais de Belgique. Leur grande affluence aux manifestations culturelles à venir sera le meilleur thermomètre.
Serait-il inutile de souligner que pour être complet, YAMBI 2007 devrait favoriser l’échange entre institutions culturelles congolaises et belges : troupes, associations, festivals. Pourquoi ne pas envisager un appui en matériel technique pour chacune des onze fédérations provinciales congolaises du théâtre : projecteurs, sono, groupes électrogène, ordinateurs.
Le public venu applaudire les comédiens congolais ne saura peut-être jamais que trois des quatre comédiens sont depuis au moins vingt ans, des piliers de la compagnie du théâtre national congolais. Cette compagnie a certes un lieu, mais sous-équipé, sans subvention ni possibilité de permettre aux comédiens de vivre de leur art. Pourquoi ne pas soutenir un projet culturel de la Compagnie du théâtre national congolais, pour sa saison 2007-2008 ?
Pouvant évoluer dans des conditions optimales dans leur pays, les comédiens congolais ne pourront que mieux exploser sur les scènes occidentales.
Cheik FITA
Bruxelles, le 6 mai 2007