Sous le patronage des associations COKATOM, CCDK et COFEDE, le forum Katanga-Héritage a organisé un débat sur le thème « Regards croisés sur le Katanga ».
C’était le samedi 15 septembre 2007, de 13h30 à 18h00, au domaine du Bois de Rêves à Ottignies Louvain la Neuve, à trente kilomètres de Bruxelles.
Avec l’excellente modération de monsieur PHAMBU KITA PHAMBU de l’ULB, un certain nombre d’orateurs ont pris la parole pour développer les sous-thèmes suivants :
- Historique du Katanga par Gommaire Pelgrims
- Evolution socio-économique du Katanga depuis l’indépendance jusqu’aujourd’hui par Faustin Muyembe, venu de Grande Bretagne
- Katanga d’hier et d’aujourd’hui par Arthur YENGA
- Katanga d’hier et d’aujourd’hui par Eric Kennnes
Un échange s’en est suivi avant une pause-café.
Puis est venu un débat assez passionné sur les événements de 1992 au Katanga à savoir, le conflit katangais-kasaiens, débat entre Pie Tshibanda écrivain, et Madame Bénédicte Houttave Mabalo Kalasa présidente de COFEDE, confédération des femmes pour le développement.
Monsieur Tshibanda et madame Houttave s’étaient rencontrés lors de la présentation d’un film sur la dynastie Bayeke. Ils avaient échangé des propos très discourtois. Et pour mettre les points sur les i, ils convinrent de se rencontrer devant témoins en un véritable duel où chacun devait aligner ses arguments.
Quels étaient les griefs ?
Selon Madame Houttave qui a pris la parole en premier, depuis près de dix ans, monsieur Pie Tshibanda n’avait cessé de véhiculer des messages anti-Katangais avec des propos vexatoires et humiliants.
Pour information, à son arrivée en Belgique, Pie Tshibanda avait monté un spectacle one man-show intitulé « un fou noir au pays des blancs ». C’est le récit de sa propre expérience de demandeur d’asile en Belgique avec comme point de départ les événements qui avaient eu lieu au Katanga autour de 1992 entre les Katangais de souche et les originaires du Kasaï. Ce spectacle a été donné des centaines de fois.
Se disant « la voix des sans voix » des originaires du Kasaï qui avaient dû quitter le Katanga, malgré eux, il n’était pas étonnant que monsieur Pie Tshibanda subisse des critiques à la place de ceux pour qui il parlait.
Ainsi, parmi les causes de la réaction de la communauté Katangaise, madame Houttave citera un fait qui aurait été rapporté : dans leur joie de l’élection de Tshisekedi comme premier ministre à la conférence nationale, certains originaires du Kasaï avaient défilé avec deux boucs à qui ils avaient mis une cravate ainsi qu’une étiquette de deux leaders politiques Katangais de l’époque.
Conséquence ? Surenchères, représailles, expéditions punitives et au bout de la chaîne, il y eut le fameux exode. Sur ce point, les deux orateurs s’étaient rejoints : ils en regrettaient l’avènement ainsi que les morts de part et d’autre.
Dans un franc-parler à la limite de la provocation les deux orateurs se lancèrent à la figure des vérités d’une façon parfois crue.
Madame Houttave avait demandé à son adversaire du jour de tenir compte désormais du sentiment que pouvaient éprouver les Katangais de souche face à certaines phrases du spectacle. Ce dont Tshibanda prit bonne note.
Il sied de signaler les multiples interventions d’une jeune dame, ancienne élève de Tshibanda Wa Mwela Bujitu… Oui, car à l’époque, nous n’avions pas de prénoms au Congo, recours à l’authenticité oblige. Elle était venue croyant voir son ancien professeur prendre fait et cause pour les originaires du Kasaï. Non, c’est le contraire qu’elle constatera. Et en dehors de la salle elle nous dira « Pour nous ses anciennes élèves, la montée médiatique de Tshibanda est un plus dans nos milieux »
Au delà de cet affrontement intellectuel entre nos deux compatriotes il est apparu un fait majeur que les congolais devraient intérioriser, quelque soit leur province d’origine : celui de l’identité.
A partir de quand est-on Katangais ou kinois par exemple ? Le seul fait d’être de souche est-il suffisant et exclusif ? Sur ce point, nous avions même eu droit à un dialogue de sourd entre les deux protagonistes : Etant né à Kolwezi au Katanga et y ayant grandi en en possédant tous les repères culturels, Tshibanda se dit katangais. Madame Houttave le lui refuse. Et pour se défendre Tshibanda dira : « Madame, tes ancêtres Bayeke viennent de Tanzanie. Et avant leur arrivée, les miens étaient déjà au Congo ! »
Pourquoi ne pas citer le chercheur belge Eric Kennes qui avait fait remarquer dans son exposé que « Katanga », n’était-il pas finalement une création des colons pour leur profit ? Est-ce cette vision qui devrait perdurer pour l’avenir et de l’entité, et du Congo ?
Et pour embrouiller les choses, c’est que finalement dans la salle, il y avait des belges d’origine congolaise qui parlaient des problèmes congolais, à commencer par les deux orateurs ! Signe des temps, aujourd’hui, il y a de plus en plus de jeunes belges dont les parents sont d’origine congolaise. Et la pauvre progéniture ignore tout du soleil congolais.
Quinze ans après ces événements malheureux, le temps n’est-il pas venu pour tous les congolais de voir les problèmes de leur pays sous un autre prisme ?
N’est-il pas temps de clore définitivement certaines rancœurs et de tourner notre regard vers l’avenir? Le Katanga et le Kasaï ont-ils intérêt à se tourner le dos ou à se donner la main ? Notre pays étant l’objet de toutes les convoitises, n’avons-nous pas intérêt à plus renforcer la frontière extérieure du pays, et à alléger celles essentiellement culturelles qui séparent nos 450 ethnies, véritable richesse dont nous n’avons même pas commencé l’exploitation ?
Les organisateurs de cette rencontre ont un grand mérite : ils ont permis aux représentants de deux communautés de déverser leurs biles respectives, de se dire en face certaines vérités ou propos considérés comme tels, propos que durant des années chacun disait dans le dos de l’autre.
Quel est désormais le devoir des organisateurs ainsi que celui de toutes les organisations tribales ou provinciales du Congo, face à la Nation congolaise ?
Il y eut un conflit katangais-kasaiens vers les années 1960. Puis un deuxième vers les années quatre-vingt-dix.
On dit souvent, jamais deux sans trois. Cela est généralement valable quand on n’est pas en mesure de tirer les leçons du passé. Les français et les allemands se sont battus en 14-18 et en 40-45. Aujourd’hui le couple France-Allemagne n’est-il pas le moteur de l’Union Européenne ? N’est-ce pas parce que leurs élites respectives ont pu tirer les leçons de la bêtise humaine ?
A l’instar des organisateurs de cette rencontre, tous les intellectuels congolais, véritables leaders de la population, ne devraient-ils pas tirer les leçons des expériences malheureuses, tant des nôtres que des autres, et amorcer une dynamique positive pour que les millions d’anonymes que sont tous nos compatriotes qui broient du noir, puissent enfin mieux vivre sur une terre dont la providence a été si généreuse ?
Cheik FITA
Bruxelles, le 17 septembre 2007