Le gouvernement congolais a annoncé par la voix de son porte-parole monsieur Lambert Mende sa décision de modifier la constitution afin que l’élection présidentielle soit désormais à un tour et non à deux.
Qui dit révision constitutionnelle dit vote en congrès, par les deux chambres : sénat et parlement. Ce n’est donc pas monsieur Kabila qui votera le changement, mais ce sont d’autres élus comme lui, à un autre niveau du pouvoir et en principe indépendant: les législateurs.
Ils pourront ou ne pas aller dans le sens du mentor.
Il est vrai, le parlement congolais est à majorité pro-Kabila. Et certains ont été élus grâce aussi à « l’argent » de la mouvance présidentielle. Celle-ci donnera sûrement un mot d’ordre et peut-être aussi des espèces sonnantes et trébuchantes à l’appui.
Si le « oui à la révision » l’emporte, monsieur Joseph Kabila pourra se frotter les mains. Une épine en moins. Restera bien sûr le problème d’être le premier au tour unique, sinon, ce sera la mort subite, et adieu veaux, vaches, privilèges et tutti quanti. Cela, c’est un autre débat.
Mais les parlementaires eux, qu’auront-ils comme dividende dans ce deal ?
S’ils votent pour la révision constitutionnelle, ils lieront davantage leur sort politique à celui de monsieur Joseph Kabila, lors d’une campagne législative celle-là, où les enjeux ne sont pas du tout les mêmes qu’à l’élection présidentielle.
Ils devront ainsi défendre localement le bilan de l’exécutif national, ses (contre) performances dans les domaines ci-après au moins :
- Sécurité
- Alimentation
- Emploi
- Accès à l’eau potable
- Electricité
- Salaire des fonctionnaires
- Accès à l’enseignement des enfants
- Soins médicaux
- Transport
- Routes de desserte agricole…
- Loisir
- Information
- Culture …
Si dans leur circonscription électorale l’essentiel de tout ceci n’aura pas été réalisé par le pouvoir exécutif, ils peuvent se rassurer, ils devront batailler ferme pour leur propre réélection, avec beaucoup de chances de passer à la trappe, pour ne pas dire à la moulinette.
Durant la campagne, les députés de l’actuelle mouvance présidentielle auront en face d’eux, toute l’armada de l’opposition : UDPS, MLC, UREC… Sans compter leurs collègues qui ont quitté le bateau pour suivre Kamerhe, l’ancien président du parlement.
Les députés sortant de l’actuelle majorité pourront-ils soutenir devant leurs concurrents et devant les électeurs les arguments avancés par l’exécutif pour tordre le cou à la constitution à savoir, nous citons :
- Nous avons expérimenté en 2006 le suffrage universel à deux tours. Et nous avons constaté qu’il n’est pas conforme aux intérêts de notre peuple. Du point de vue économique, du point de vue politique et du point de vue sécuritaire.
- Le déroulement des élections sur le strict modèle occidental au Kenya, en Guinée, en Côte d’ivoire et même chez nous a abouti à des affrontements non pas politiques mais identitaires. Mais ce n’est pas ce que nous avons recherché.
Fin de citation.
Questions face à cet argumentaire :
Du point de vue économique
Economiser 300.000.000 de dollars ? Gouverner c’est prévoir dit-on. L’exécutif AMP n’avait-il pas cinq ans pour planifier les élections ? Économiser 60 millions de dollars par an pour un événement aussi décisif pour une nation que ce sont les élections, est-ce trop demander à un pouvoir responsable ?
Du point de vue politique
De deux tours à un tour, est-ce une avancée démocratique ou un recul ?
Dans un pays de 70.000.000 d’habitants, un régime finissant avec les résultats que nous connaissons et étant arrivé aux commandes de l’Etat suite à l‘expression dans les urnes de moins de vingt millions d’habitants, peut-il se permettre pareilles libertés ?
Rappelons les chiffres de 2006.
Inscrits : 25 420 199
Vote exprimé : 16 256 601
Gagnant au deuxième tour : 9 436 779 voix (1er tour : 7 590 485)
Strict modèle occidental d’élection présidentielle à deux tours
Est-ce à dire que l’élection présidentielle à un tour serait subitement une invention congolaise ?
Affrontements identitaires ?
La solution est-ce vraiment établir un seul tour de la présidentielle ? Encore que la thèse d’affrontements identitaires reste à démontrer !
Soit. Le fait de n’avoir pas recensé la population depuis 2006, est-ce une attitude propice à clarifier le problème identitaire en RD Congo ?
Le syndrome ivoirien devrait-il être calqué si servilement sur la situation e RD Congo ?
N’est-ce pas par hasard un aveu implicite que le candidat favori de l’AMP ne représenterait plus qu’un pourcentage inférieur à ses 9 436 779 voix de novembre 2006, suite à l’usure du pouvoir, les résultats mitigés voir insuffisants pour ne pas dire médiocres, sans compter le retour en force de monsieur Etienne Tshisekedi, le basculement prévisible de l’électorat de l’ex-Kivu dans l’escarcelle de ceux qui étaient jusque là le courant rénovateur de l’AMP ?
Pour l’histoire, aux lendemains du 24 avril 1990, le chef de la mouvance présidentielle d’alors n’avait-il plus qu’une portion congrue des intentions de vote des Congolais ? Ne fut-il pas champion de modifications de la constitution, toujours taillée sur mesure ? Même signes ? Mêmes angoisses ? Mêmes parades ?
Conclusion ?
Les parlementaires congolais sont ainsi devant la situation suivante :
- ils rejettent l’instauration d’un seul tour à la présidentielle et ils en sortent quelque peu grandis, leur institution aussi, ce sera toujours un atout dans leur campagne électorale,
- ils se plient au dictat d’une autre institution pourtant indépendante, alors, pour la survie politique de monsieur Joseph Kabila, ils se tirent une balle dans le pied… Et courage pour leur propre campagne aux législatives !
Conviction ? Cupidité ? Courte vue ?
A eux de choisir !
Cheik FITA
Bruxelles, le 7 janvier 2011