Le parlement congolais vient d’adopter la loi créant et régissant la CENI, Commission Nationale Électorale Indépendante. Les députés congolais ont refusé d’incorporer dans le bureau de la CENI la société civile au motif que « Celle-ci est à ce jour reprise, selon les tendances, dans les principaux regroupements politiques et donc politiquement engagée avec une branche pro-majorité et une autre pro-opposition. »
Ignorance des mots ? Inculture ? Mauvaise foi ? Allégeance ? Courbettes ? Cupidité ? Positionnement politique pour les prochaines échéances ?
Chaque jour, dans nos campagnes, de braves mamans se lèvent tôt le matin pour aller aux champs, chercher du bois... De retour, elles pilent, préparent à manger pour tous.
Chaque jour des maîtresses et maîtres d’école s’époumonent pour apprendre aux enfants la lecture, l’écriture, dans l’espoir que ces bouts d’hommes deviennent un jour des citoyens honnêtes et actifs pour la société.
Chaque jour des fonctionnaires, quoique mal payés essaient de maintenir en état ce qui sert encore d’administration à notre pays : huissiers, dactylographes, agents de bureau… jusqu’au secrétaire général de l’administration publique.
Que ne dirait-on pas des infirmières et des infirmiers ? Des médecins ? Des avocats, des juges, des quados, des taximen, des cambistes, des pêcheurs ?
Des mamans commerçantes, des chefs d’entreprise…
Des journalistes de la presse écrite, de la radio, de la télévision et maintenant ceux du cinquième pouvoir qu’est le Web ?
Et de tous ces artistes : musiciens, comédiens, danseurs, peintres dont les œuvres font la fierté de notre pays, sans pour autant avoir été subventionné par celui-ci ?
Que ne dirait-on pas de tous ces activistes de droit de l’Homme sans qui bien de dérives resteraient méconnues ?
Des dizaines de millions de Congolaises et de Congolais consacrent ainsi la majeure partie de leurs journées à bosser, à travailler pour leurs familles, pour la Nation… Souvent pour une rémunération ingrate. C’est cela la société civile.
La sueur de tous ces malheureux génère les francs congolais et les dollars qui vont dans ce qui est appelé la caisse de l’Etat. Caisse de l’Etat, mamelle de différents animateurs des institutions de la République, dont les parlementaires qui aujourd’hui, ne veulent pas que ceux qui les nourrissent se mêlent de l’organisation du choix des futurs dirigeants.
Drôle de reconnaissance.
Dans la tête de tous ces millions de compatriotes qui triment chaque jour, y a-t-il un logiciel qui conditionne leurs actes professionnels en termes de « pouvoir-opposition » ?
Ainsi donc, selon nos « honorables », il y aurait en RD Congo des médecins du pouvoir qui soignent des malades de l’opposition ? Des taximen de l’opposition qui embarquent des clients du « pouvoir » ?
Regrettable raccourci.
Nous pourrions multiplier les exemples, mais à quoi bon ?
Quelle est la vraie raison de la mise à l’écart de la société civile de la direction de la CENI ? C’est la volonté des membres de la « majorité » présidentielle de rempiler, par tous les moyens, même par la tricherie via une CENI à leur solde.
Est-ce gagné d’avance ?
Non. Ce n’est pas parce que les tenants du pouvoir ont un entendement erroné de la société civile que la société civile a disparu.
Pourquoi ce cabrage ?
En réalité, chercher à régenter la CENI est un aveu d’échec. Si la gestion 2006-2011 avait été une réussite, les meilleurs avocats du pouvoir auraient été les membres de la société civile, ceux qui vivent au quotidien la réussite ou l’échec de l’action gouvernementale : accès à l’eau potable et à l’énergie électrique, sécurité des biens et des personnes, transport, alimentation, soins médicaux, logement, salaires, emploi…
Et si on écarte la société civile, c’est parce que l’échec est patent.
Question : faudra-t-il aller aux élections avec cette CENI ?
Oui.
Le pouvoir actuel a-t-il réalisé au moins 20% de ses promesses électorales de 2006 ? Si les candidats du pouvoir à tous les niveaux ne récoltent pas 20% du suffrage, il faudrait des containers de faux bulletins de vote pour bourrer les urnes. Pire, il faudrait des millions de complices pour la forfaiture. Où les trouver discrètement quand on est impopulaire ?
Souvenons-nous de cette phrase des années 90 : « Libumu na MPR, motema na opposition »
Souvenons-nous de la Conférence Nationale Souveraine dont la liste des participants avait été établie par le pouvoir en place de l’époque. A l’élection du Premier Ministre, le candidat du pouvoir n’avait pu franchir la barre de 30%.
La pré-campagne électorale n’est qu’à ses débuts. Une véritable dynamique se mettra progressivement en place, et bien malin sera celui qui prétendra contrôler cela.
La tricherie et le mensonge résisteront-ils au flot de la misère de millions de gens à qui on avait promis monts et merveilles, et qui se retrouvent cinq ans après, plus clochardisés qu’avant ? Et en face? Un assemblage original : d’anciens barons du parti unique, cupides, jouisseurs patentés d'un côté, et de l'autre, une clique arrivée au pouvoir malingres et en babouches, qui a engraissé depuis. Attelage champion en accumulation ostentatoire de forces signes extérieurs d’enrichissement sans cause : immeubles, 4x4, voyages… Pire, insouciant de la souffrance de l’autre, des autres, des millions d’autres, du souverain primaire.
En 2011, celui-ci, sera-t-il aveugle devant l’urne ?
Cheik FITA
Bruxelles, le 11 mai 2010