Entre 23 heures du 2 avril et 4 heures du matin du 3 avril 2010 nous avons été au KIN’S IN chez mama Brigitte, 382 chaussée de Mons dans la commune d’Anderlecht, afin d’assister au concert de l’artiste musicien Congolais Boketshu 1er, concert annoncé pour avoir lieu jusqu’à l’aube.
LE QUOTIDIEN D’UN MUSICIEN CONGOLAIS
Des instruments de musique sont déjà installés dans un coin. Quelques enceintes acoustiques seront ajoutées quand nous sommes déjà là.
La vedette du jour était dans les parages et quelques instants après nous voyons entrer Boketshu 1er, il passe de table à table et salue les personnes qui sont déjà là avant de s’installer à son tour à une table, entouré.
Des mélomanes l’appellent régulièrement pour demander l’adresse exacte de la manifestation.
Nous ne nous faisons pas d’illusion quant à l’heure de début réel du concert. Des habitudes difficiles à changer, se sont incrustées chez les mélomanes congolais.
En attendant, nous ne nous ennuyons pas. De la musique congolaise est diffusée sur un grand écran plat et le son bien amplifié …
Peu avant 2 heures, Boketshu 1er prend le micro, remercie ceux qui sont venus et annonce le programme.
L’entrée était fixée à 10 €. Aucun de nous tous qui sommes là n’a encore payé, à part la boisson bien sûr.
L’artiste lance : « Nous préparons la sortie d’un nouvel album. Vous le savez, c’est sans aucun soutien. Si je demande à chacun de vous de contribuer avec 100 ou 200 €, personne ne donnera. Mr P. qui est là est qui est dans l’organisation de ce concert passera à chaque table pour vous vendre un ticket de 10 €… »
Cela réussit, ceux qui sont là achètent chacun son ticket et en avant la musique.
Sur scène, Boketshu 1er interprète autant ses nouvelles chansons que celles de ses débuts avec la danse « sundama ». L’orchestration est très bonne et le rythme tel, que les moins résistants s’exhibent devant le chanteur.
En bon artiste engagé, il ne manque pas de lancer par moment de petites phrases sur la souffrance des congolais.
Dans une chanson, par rapport au voyage au Congo du Roi Albert II il lance : « Nous savons que le Roi va au Congo pour soutenir la dictature de … »
Le public arrive progressivement et dans le lot, nous apercevons le chanteur Bozi Boziana accompagné par quelques personnes. Tout en chantant, Boketshu 1er signale cette entrée, comme il le faisait plutôt de tous ceux qu’il voyait entrer…
Peu avant quatre heures du matin, nous décidons de partir, alors que c’est à ce moment que d’autres arrivent !
Nous imaginons que l’ambiance sera de plus en plus chaud… jusqu’à l’aube.
CONGOLAIS, DU TALENT A REVENDRE
Difficile de quitter un compatriote, artiste de talent, et son public sans se poser un certain nombre de questions sur l’art et son rôle dans notre société congolaise.
Loin du pays, la musique de nos artistes est un cordon ombilical solide nous reliant à la terre natale.
Avec tout le talent qu’il a, Boketshu 1er aurait dû jouer non seulement de temps à autre ici ou là, mais bien plus souvent.
Hélas, et lui et plusieurs autres artistes et hommes de culture congolais au pays et de par le monde, ne jouissent d’aucun soutien de l’Etat congolais.
Depuis des années, l’artiste congolais est en même temps agent publicitaire, producteur, démarcheur…
Il a déjà du talent, ce que peu de gens ont. Oui, n’est pas artiste qui veut !
Ne faudrait-il pas qu’enfin l’artiste congolais ne se consacre qu’à l’art, débarrassé de toutes les autres tracasseries ?
Les choses ne devraient-elles pas enfin changer pour les artistes congolais? Et changer en profondeur !
UNE PISTE POUR UN MIEUX-ETRE DE L’ARTISTE CONGOLAIS…
Autant plusieurs artistes que beaucoup de nos concitoyens ne pensent pas à l’engagement politique, croyant naïvement que l’engagement politique, c’est l’affaire des politiciens, autant les politiciens régentent ce qui leur tombe sous les bras, insouciants, tant que les victimes des turpitudes politiciennes sont apathiques.
Le politicien n’étant pas une génération spontanée, le citoyen a heureusement et régulièrement, l’occasion d’influer sur la marche du pays en changeant le personnel politique : lors des élections.
DU BILAN DES SORTANTS ET DE LA SANCTION DES URNES
L’année prochaine, lors de la campagne électorale, quel bilan le pouvoir sortant présentera-t-il au peuple dans le domaine culturel ? 2007, 2008, 2009, 2010, province par province, ville par ville commune par commune :
- Combien de prix ou de médailles décernées aux artistes?
- Combien d’artistes promus ?
- Combien de nouveaux talents découverts ?
- Combien d’expositions organisées ?
- Combien de festivals organisés ?
- Combien de subventions accordées aux groupes artistiques et à quelle hauteur ?
- Combien de livres édités ?
- Combien d’auteurs soutenus ?
- Combien de concours organisés ?
- Combien d’animateurs culturels formés et embauchés ?
- Quel budget alloué au secteur culturel ?
- Combien de musées équipés ?
- Combien de spectacles de théâtre ou de ballet soutenus de la conception au montage jusqu’à la circulation ?
- Combien de salles de spectacles construites, réhabilitées ou équipées ?
- Combien de bibliothèques fournies en nouveaux livres ?
- Combien de films financés et présentés dans différents festivals ?
- Combien, combien, combien… ?
Et en définitive, combien de Congolais ont-ils pu jouir d’un des droits les plus fondamentaux de l’être humain : le droit à la culture ?
2011, NE PLUS ETRE LE DINDON DE LA FARCE
En 2006, nous avons vu comment certains artistes se sont « vendus ». Cinq ans après, quel dividende ?
Si des talents confirmés comme Boketshu 1er sont laissés au bord de la route, que dire de tous les anonymes qui naissent chaque année dans les différentes brousses du grand Congo ?
Tous les artistes congolais devraient prendre conscience de cet énorme gâchis qu’est l’absence tant d’une vision de promotion et d’action culturelle forte, que de la rentabilisation du secteur.
A cette veille des élections, tous les artistes congolais et tous les créateurs des œuvres de l’esprit doivent se fédérer pour défendre leurs métiers :
- Dresser l’état des lieux de l’action culturelle en RD Congo
- Exiger des comptes au pouvoir sortant
- Interpeller déjà les nouveaux candidats de l’opposition en principe force alternative, afin qu’ils exposent clairement leurs projets de société en ce qui est du domaine culturel.
- Le moment venu, donner des consignes de vote au profit de ceux qui peuvent sortir la culture congolaise de la misère.
Si 2006-2011 a été un gâchis pour la culture congolaise, 2011-2016 devrait changer de visage. Le pouvoir de l’art est suffisamment fort pour pencher la balance dans le sens du changement.
Cheik FITA
Bruxelles, le 4 avril 2010