Vendredi 18 mars 2011 en matinée au tribunal de première instance de Bruxelles, les avocats de notre compatriote Mbutu Mondondo Bienvenu ainsi que celle de Moulinsart et Casterman ont comparu dans l’affaire « Tintin au Congo ».
En ouverture, de l’audience, la juge présidente a résumé l’affaire avant de donner à chaque partie une demi-heure pour plaider.
Le premier, Me Ahmed L’Hedim a rappelé la demande de son client :
a) Des constats
- L’album Tintin au Congo contient des propos racistes et vexatoires pour les noirs. Les noirs sont dépeints dans cet album comme étant des grands enfants, parlant mal français…
- Lors d’une interview alors qu’il était vivant, l’auteur Hergé, avait reconnu qu’il avait écrit cet album, baigné dans la vision du noir de l’époque.
- Dans l’entretemps, les choses ont évolué, des lois ont été adoptées au niveau européen contre le racisme et la xénophobie. Nous citerons l’article 21 de la loi Mourreau.
- L’album Tintin au Congo est vendu en Belgique dans le rayon des livres pour enfants.
- En Grande-Bretagne la justice a déjà tranché : Tintin au Congo ne peut plus être vendu dans les rayons pour enfants. Mieux, les éditeurs de Tintin au Congo outre-manche apposent une bandelette où il est clairement spécifié que dans sa version originale, Tintin au Congo est destiné aux collectionneurs.
DDemande
Suite à cela, les avocats de Mbutu Bienvenu demandent à Moulinsart et Casterman :
- La cessation d’exploitation de Tintin au Congo dans sa version actuelle et à l’intention des enfants sous peine d’astreintes.
- L'appostion d’une bandelette d’avertissement comme cela est déjà fait en Angleterre et même dans les librairies anglaises ici en Belgique.
b) Quant à la compétence du tribunal, soulevée par la défense, Me Alain H. Amici complétera son collègue en se référant à plusieurs jurisprudences et à des textes de lois : le plaignant est en droit de choisir le tribunal où il peut porter plainte.
La défense
L’avocate de Moulinsaert elle, dira que le tribunal de première instance n’était pas compétent pour juger cette affaire, qui est une affaire commerciale. Et donc c’est au tribunal de commerce de juger et trancher.
L’accusation voulait aussi que la défense produise le contrat qui lie Moulinsart à Casterman afin de s’assurer duquel des deux devrait modifier l’œuvre exploitée, l’avocate de la défense refusera cette demande.
Le Procureur du Roi en tant que ministère public donnera alors son avis : il ne considérait pas le tribunal de première instance compétent . Pour lui, c’est le tribunal de commerce plutôt qui devait trancher cette affaire, rejoignant ainsi le point défendu par l’avocate de Moulinsart.
Endéans un mois, la juge rendra son arrêt.
Pour Me L’Hedim, que nous avons interviewé à l'issue de l'audience, même si l’on renvoyait l'affaire à un autre niveau de juridiction, il n’est pas question d‘arrêter ce dossier, quitte à aller à la cour européenne de Justice.
Les albums Tintin sont vendus par millions à travers le monde. L'affaire Tintin au Congo est donc une affaire de gros sous. Pour le'éditeur et les ayant-droits, perdre un procès face à un « petit nègre » ne serait-il pas préjudiciable à l’image du produit, par ricochet, au profit ?
Seulement, est-ce qu’au nom du profit, un éditeur peut éternellement fermer les yeux sur le contenu de ce qu'il vend?
Fuite en avant de l’éditeur ?
Est-ce que les commerçants qui publient des contenus vexatoires ne pourraient être dénoncés que par d’autres commerçants ?
Où est alors la place du consommateur que nous sommes ?
D’autre part, il est une évidence : dans le contexte d’aujourd’hui, les 70.000.000 de congolais qui pourraient lire « Tintin au Congo », se reconnaitraient-ils dans les « nègres » de l’album qui disent par exemple « missié » au lieu de monsieur ?
Pire, les enfants congolais d’aujourd’hui ne seraient-ils pas choqués par ce contenu dénigrant voire méprisant ? Et ce préjudice, qui le paierait ?
Est-ce trop demander à l’éditeur ainsi qu’aux successeurs d’Hergé de suivre l’exemple des éditeurs anglais de « Tintin au Congo » ?
Le mot Congo figurant dans le titre de l’ouvrage d’Hergé appartenant au x Congolais, faut-il alors que le Congo officiel s’empare de l’affaire pour défendre notre label qui a déjà tant nourri des gens et continue à les nourrir au détriment de notre image ?
Ou faudrait-il que tous les Congolais se lèvent et se saisissent de cette affaire et clarifier une bonne fois pour toutes, certains travers de l’époque coloniale qui auraient dû disparaître dès le 30 juin 1960 ?
Cheik FITA
Bruxelles, le 19 mars 2011