Zadain Kasongo. Journaliste et Comédien congolais (Photo cheikfitanews)
Jeanine Kalumba Yeba
Comédienne et metteur en scène congolaise
Katende Katsh M'Bika. Dramaturge & Metteur en scène Congolais(Photo Théâtre ORCAN de Kinshasa)
Du samedi 25 au dimanche 26 septembre 2010, cérémonies émouvantes d’hommage à Bruxelles et à Kinshasa pour l’actrice et metteur en scène congolaise Jeanine Kalumba Yeba : membres de famille, amis, connaissances, voisins, autorités, anonymes, autorités.
Deux prises de paroles particulières :
Celle du journaliste et comédien Zadain Kasongo à Bruxelles le samedi, et celle de l’écrivain Katende Katsh Mbika à Kinshasa, le dimanche, dans la salle du théâtre National où avaient lieu les funérailles.
Quelle est la particularité de ces deux interventions ?
En 1983, Jeanine Kalumba Yeba, Katende Katsh, Mbuta Kayembe Zadain Kasongo et Cheik Fita avaient réussi une expérience culturelle unique : à partir du Katanga, avec les recettes d’entrée à leur spectacle, acheter des billets d’avion, aller à Kinshasa, y séjourner durant deux semaines, donner des représentations de leur spectacle dont une en direct à la télévision nationale, se faisant adopter ainsi non seulement par le difficile public kinois, mais aussi par les millions de téléspectateurs congolais.
A Bruxelles, l’hommage a eu lieu au Centre interculturel Nord=Sud, 99 Boulevard Léopold II dans la commune de Molenbeek.
Une prière pour le repos de l’âme de la défunte, un témoignage de Zadain Kasongo et enfin la lecture d’un extrait de « Moins Homme ».
A Kinshasa, la salle de spectacles du Théâtre National de la RD Congo est prise d’assaut tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, par des milliers de personnes.
Pour nous qui sommes à l’étranger où à l’intérieur du Congo, les artistes du Théâtre Orcan diffusent en direct, en circuit fermé sur Internet l’essentiel de l’hommage à madame Jeanine Kalumba Yeba.
Après le culte religieux ou mieux, la cérémonie d’absoute dirigée par l’abbé Adrien Kanyengele aumônier militaire de Badiadingi, viennent les témoignages : associations des femmes, association des Songye, anciens de Kolwezi, groupes artistiques…
Des messages pathétiques sont prononcés dont celui d’Adamo Kamanda chef de division de la culture et des arts de la ville de Kinshasa, au nom du ministère provincial de la culture.
Vient le tour du dramaturge congolais Katende Katsh Mbika. L’écrivain rappelle sa première rencontre avec l’actrice à Kolwezi : un sourire « accueillant », une disponibilité et une serviabilité remarquable. Mais surtout son talent sur scène doublée d’une mémoire extraordinaire.
Dans la pièce Afriqu’empire où Katende jouait le rôle principal d’empereur et dont la tenue souvent malmenée par le grand nombre de représentations journalières, devait régulièrement être bien repassée, une personne s’occupe de ce costume-là : la comédienne Yeba.
Le sommet de la collaboration Katende-Yeba est atteint dans « Moins Homme » dite « la guerre de Kolwezi » où Katende interprète le rôle de George Suarez, et Yeba celui de Claudine Suarez, l’épouse donc. Une cascade de représentations : Kolwezi, Likasi, Lubumbashi. L’apothéose à Kinshasa, le 20 mai 1983 en direct à la télévision nationale.
Parmi les personnalités venues saluer la mémoire de l’artiste Kalumba Yeba Jeanine, il sied de mentionner la présence d’un membre du gouvernement congolais : Monsieur Maj Kisimba, Ministère des affaires foncières.
Le Ministre Muyej, ancien de Kolwezi a tenu également à soutenir les artistes du Théâtre Orcan.
A côté des acteurs actuels de la troupe, des anciens du Théâtre Orcan étaient là où appelaient de plusieurs coins du monde, Ndobole à Mbuji Mayi, Ntala des Etats Unis, Annicia Tshituka du Congo Brazzaville, Ben Kasongo de Lubumbashi. Sur place : Jacob Bingwa, Francine Yekoloma, Nanou, Panzu…
Au moment où nous rédigions cet article, un coup de fil d’une personne en larmes : « Est-ce vrai, Jeanine n’est plus ? » C’est Dada Stella Kitoga ici à Bruxelles, elle vient d’avoir la nouvelle d’un mail de son mari, l’écrivain Djungu Nsimba.
Dada Stella et Jeanine Kalumba Yeba rares femmes metteurs en scène sorties de l’INA, et ayant pratiqué le théâtre sans discontinuer, ont ensemble figuré dans des clips éducatifs au Congo.
L’actrice Jeanine Kalumba Yeba a été inhumée le dimanche 26 septembre 2010 au cimetière de Kinkole.
Jeanine Kalumba Yeba a peut-être quitté la terre des hommes, mais son œuvre est restée gravée dans l’esprit de millions de congolais.
Pour notre mémoire collective, il est du devoir de l’Etat de perpétuer sa mémoire en donnant son nom à une place, une rue, une salle…
Cheik FITA
Bruxelles, le 27 septembre 2010.
Ci-dessous,
- Le témoignage vidéo d’hommage de Zadain Kasongo à Tantine Kalumba Yeba,
- Avec comme décor de fond, le poster de la disparue, la lecture d’un extrait de « Moins homme » dite « La guerre de Kolwezi. » par Zadain Kasongo dans le rôle de Georges Suarez, Joël Kitenge dans le rôle d’Alain Suarez et l’actrice Wanga Aminata du Burkina Faso dans le rôle de Claudine Suarez, jadis interprétée par Jeanine Kalumba Yeba.
- Le témoignage version texte
NOTA : Des informations actualisées seront publiées sur le blog du Théâtre ORCAN : http://theatreorcan.over-blog.com
Adamo KAMANDA: Chef de Division de la Culture et des Arts, Ville de Kinshasa(Photo Théâtre ORCAN de Kinshasa)
Maj Kisimba: Ministre congolais des affaires foncières (Photo Théâtre ORCAN de Kinshasa)
EN MEMOIRE DE…
« Le 20 mai 1983 sur le coup de 20h30 l'office zaïrois de Radiodiffusion et de Télévision en sigle OZRT annonce le spectacle théâtral "MOINS HOMME" ou la guerre de six jours par le théâtre africain des Muses. Le présentateur n'est autre que feu Mutombo Buitshi le géant de la scène à la voix gutturale. L’instant est inédit. Une troupe venue de l'intérieur comme on disait, est décidée de marcher sur Kinshasa en y apportant un autre style de jeu de scène. La lumière s'éteint. Une pénombre annonce le début du spectacle sous un faible son de musique instrumentale en sourdine. Dans le fond, une femme noire apparait en robe de chambre. Visiblement sortie du sommeil elle vient ouvrir la porte à son mari blanc ingénieur revenant de la mine de Kamoto où il travaille. Elle se prénomme Claudine et lui, Georges. Les deux forment le couple Suarez, dit mixte .Serge, 10 ans est le fruit de leur union, de cet amour. Alain Suarez frère de Georges arrive fraîchement de Paris le jour même à Kolwezi .Et la deuxième guerre du Shaba dite de six jours éclate. Toute une famille enfermée au salon pendant les six douloureux jours. A l'extérieur des crépitements de balles ne présagent aucun espoir de survie. La guerre est atroce. Les morts ne se comptent pas. Angoisse, anxiété, haine, amour, racisme et amour du prochain sont des sentiments dégagés par les personnages de cette œuvre à succès sous la plume de Cheik FITA dramaturge congolais. Des moments de rire ne sont pas absents. Ils sont souvent produits par le jeu du domestique Ilunga, dernier personnage de la pièce.
Le rôle de l'unique femme du spectacle est magistralement incarné par mademoiselle Jeanine Yeba Mukadi .C'est d'elle qu'il s'agit ce soir. Quel talent! Quelle beauté ! Physique, artistique et intellectuelle ! S’il est une femme qui m'a marqué de toute ma carrière d'artiste de théâtre c'est elle. On la remarque éblouissante tant dans ses répliques que dans ses mouvements d'occupation de scène. D'une voix limpide qui vacille au ton du spectacle et allant crescendo selon les scènes, Jeanine subjugue. De sa voix, elle sait en faire bon usage. Car capable de crier, de hausser et baisser le ton ou de pleurer avec zèle jusqu'à toucher les cœurs des spectateurs. Ce soir-là en direct du studio maman Angebi, toute la République du Zaïre suit notre spectacle. Autant que sa beauté physique, son talent artistique s'impose sur la scène. Jeanine Yeba Mukadi n'a que 24 ans en cette soirée marquant la commémoration de la fête anniversaire du MPR, Mouvement Populaire de la Révolution tout puissant à l’époque. Les différents chefs d'état et leurs délégations invités à ces festivités suivent la reine des Muses sur scène. Heureuse coïncidence! La troupe ne fait pas partie des invités. Mais par le talent de ses artistes elle impose respect et admiration. Surtout, elle séduit le tout nouveau Maréchal qui ne manque pas de faire téléphoner et d'en toucher un mot à son commissaire d'état à la culture. Dans la salle le public très attentif est conquis sans effort. Sur scène, heureux nous nous admirons les uns les autres. Quant à elle, elle brille par la maîtrise du texte. Quelles que soient les improvisations du domestique, rôle que j'interprète, Jeanine sait nous ramener au respect du texte. C'est ainsi qu'aujourd'hui tous ces souvenirs indélébiles me reviennent comme si c'était hier. Hélas! Il y a 27 ans. Oui il y a 27 ans, quand à la fin du spectacle de ce soir là le public du studio maman Angebi en délire se lève pour ovationner les artistes du Shaba. Succès et mission accomplie : marcher sur Kinshasa n'est plus un slogan mais une réalité. Des portes s'ouvrent. L'animateur Lukunku Sampu n'est pas en reste. Il se charge de la promotion du spectacle.
Jeanine Yeba! Femme de scène, cet hommage lui est dû. Mais plus loin que ma mémoire parcourt notre passé commun, je nous vois à Likasi chez un autre artiste, où nous nous rencontrons pour la première fois vers les années 80.Il est question de décider de créer un nouveau concept théâtral, celui de réunir les meilleurs talents du Shaba et travailler ensemble. Chose faite, deux artistes de Kolwezi Jeanine Yeba et Cheik FITA,Hilaire KATENDE Katsh'Mbika et KAYEMBE Mbuta de Likasi et Zadain KASONGO de Lubumbashi. L'ossature est montée et le Théâtre africain des Muses est né. De Kolwezi à Likasi en passant par Lubumbashi, nous sillonnons tout le Shaba, aujourd'hui redevenu KATANGA jusqu'à Kinshasa où tout le pays, par le truchement de la télévision nous découvre. A l'époque avoir une actrice capable de supporter le rythme de 3 spectacles par jour pendant des années relevait de l'exploit. Jeanine l'a fait sans désemparer, pas seulement avec talent mais aussi avec passion et sérieux. Quelle maîtrise!
En 1989 nos chemins se séparent après une tentative de remonter sur les planches avec une autre pièce. Une bourse d'études me conduit à l'étranger. Quoique devenue madame KALUMBA du fait de son mariage avec monsieur Kalumba Désiré, Jeanine n'a jamais abandonné le théâtre. Diplômée de hautes études en arts de scène, mère de famille, elle était cadre au ministère de la culture et des arts du Congo. C'est avec armes à la main qu'elle a rendu l'âme à la polyclinique BONDEKO de Kinshasa sous les yeux de quelques acteurs. La maladie a eu raison d'elle. Pourtant je rêvais encore de la retrouver l'année prochaine autour d'un projet des retrouvailles artistiques avec Katende et Cheik Fita. Kayembe étant décédé depuis plus de 10 ans. La famille du théâtre vient de perdre une de ses brillantes étoiles. Mais moi, je perds ma meilleure complice de scène. L'univers théâtral n'en produit des pareilles qu'une fois tous les siècles. Puisse le Tout-Puissant l'accueillir dans son royaume mais surtout susciter d'autres talents. Merci Jeanine !
ZADAIN
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