Si elle était sourde, depuis le 16 février 2012, l’Union européenne doit avoir été guérie de sa surdité par les centaines de Congolaises et Congolais qui clamaient devant son siège de Bruxelles : « Tshisekedi Président ». Et en même temps, maudissaient Joseph Kabila le président sortant, en le vouant à tous les gémonies.
Pour se retrouver devant le siège des institutions européennes, les Congolais de Belgique et des environs ont marché dès 14h30, depuis le métro trône sous le monument de Léopold II, en soutien à la marche des chrétiens en RD Congo, et à Kinshasa plus particulièrement.
Autant à Kinshasa qu’à Bruxelles ainsi que dans plusieurs villes occidentales, cette marche avait une double signification :
- Commémorer les vingt ans de la marche des chrétiens de 1992 qui réclamait alors la réouverture de la conférence nationale souveraine,
- Réclamer la vérité des urnes après les élections du 28 novembre 2011 marquées par des fraudes à très grande échelle.
Devant l’ambassade de la RD Congo hyper protégée par la police, la manifestation fera une longue escale.
Sur l’avenue Béliard, le flot de manifestants occasionnera un grand bouchon. Vers 17h00, la manifestation arrivera enfin au rond-point Schuman, face aux institutions européennes.
Après plusieurs animations dont essentiellement des chants anti-Kabila et des slogans en soutien à Étienne Tshisekedi, quelques messages seront donnés dont un, par un prêtre catholique venu spécialement de Madrid afin de participer à la marche.
Vers 17h15, les manifestants se disperseront progressivement.
La marche se sera déroulée sans incidents majeurs, avec une sécurité interne très vigilante face aux « collabos » ou supposés tels, et aux éventuels débordements des manifestants sur la voie publique.
Voir plus de mille Congolais de tous les âges et de toutes les conditions marcher ainsi dans les rues de Bruxelles doit désormais interpeller nos partenaires occidentaux qui auraient tort de considérer cette mobilisation comme un phénomène passager, ou une allégeance aveugle au congolais le moins aimé des puissances occidentales à savoir, monsieur Étienne Tshisekedi.
Une certitude, tant que Joseph Kabila se cramponnera aux manettes du pouvoir politique en RD Congo, il y aura des Congolais qui se mobiliseront, radicalisant progressivement leur position. Il n’est qu’à écouter les nouvelles chansons anti-Kabila, fruit de l’incroyable créativité artistique des Congolais.
Pour les congolais qui vivent à l’étranger, la présence de Joseph Kabila à la tête de la RD Congo depuis le 6 décembre 2012 est pire qu’une insulte pour plusieurs raisons :
1. Joseph Kabila est arrivé au sommet de l’état congolais le 21 janvier 2001 dans des circonstances troubles : l’assassinat quelques jours plus tôt de Laurent Désiré Kabila dont il portait le nom.
Dans l’opinion congolaise, le passé de Joseph Kabila a toujours été obscur. À une époque de sa vie, monsieur Joseph Kabila a porté le nom de Kanambe. Son père biologique ? Si oui, pourquoi le cacher ? Si non, le test ADN ne serait-il pas la meilleure solution pour, une bonne fois pour toutes, mettre fin à la polémique ? Cela dure déjà depuis onze ans. Un peu longuet, il faut le reconnaître. Obama est Président des USA malgré que son père soit Kenyan. Mais Obama n’a jamais nié ses origines, bien au contraire. En plus, la loi américaine est différente de la loi congolaise en ce qui est de l’accession à la magistrature suprême.
2. Le cursus scolaire de monsieur Kabila est des plus réduits. Cela suscite une question dans la communauté congolaise :
« Monsieur Joseph Kabila a-t-il le background nécessaire pour piloter un navire aussi grand que la RD Congo sans le conduire droit au naufrage ? »
En soutien à ces inquiétudes, il y a le bilan plus que catastrophique de la présence de monsieur Joseph Kabila à la tête du grand Congo. Quelques contre-performances de son quinquennat 2006-2011: La RD Congo, dernier mondial pour le développement humain. Et le social ? Chômage à plus de 90%, sous-alimentation, accès insignifiant à l’eau potable, à l’énergie électrique, à la santé, à l’éducation, à la culture, à l’information…
3. Les violations massives des droits de l’homme, la militarisation à outrance, les assassinats politiques, le musèlement de la presse, le climat de terreur entretenu par la police politique, la justice inféodée …
Que des disparitions, des enlèvements, des exécutions sommaires, Des morts injustes…
4. Le tripatouillage constitutionnel. Depuis janvier 2011, la constitution congolaise n’est plus qu’un chiffon.
5. Enfin, la fraude massive aux dernières élections. Si monsieur Joseph Kabila est encore appelé président aujourd’hui par certains, c’est parce qu’il a conçu, planifié et exécuté un grand plan de bourrages des urnes, appuyé ensuite par une falsification à grande échelle des différents procès-verbaux. Il aura été ainsi et lui, et un grand nombre de ses « parlementaires » proclamés élus sans preuve tangible !
Face à un tel tableau, comment ne pas susciter la révolte dans la communauté congolaise?
Comble de l’ironie, en face de Joseph Kabila, se trouve un challenger d’une autre facture : Étienne Tshisekedi.
Constant, droit, juste, universitaire… Durant trois décennies, il s’est battu pour les autres, pour des valeurs : la démocratie, l’état de droit, la bonne gouvernance, le progrès social.
Non, pour l’occident, l’homme qu’il faut pour les Congolais, c’est Joseph Kabila ! Pire qu’une gifle en pleine figure.
Certains politiques occidentaux voudraient-ils prétendre qu’à la place de la cervelle, nous avons une patate pourrie, et que c’est à eux de décider ce qui est bon pour nous ou pas ?
Les Congolais qui vivent à l’étranger ont accès à l’information, vivent dans des pays à grande démocratie dont ils ont intériorisé les valeurs et le modus vivendi, ont un sens très critique et n’adhèrent jamais à une idéologie par complaisance.
Pour être vulgaire, ils sont des « blancs » à peau noire.
Face aux profils respectifs de Kabila et Tshisekedi, de quel côté peuvent-ils tourner leur regard et leur espoir ?
Ainsi, à l’unanimité, ils marchent depuis des semaines pour la vérité des urnes, ils soutiennent Étienne Tshisekedi. Et ils sont originaires de toutes les onze provinces de la RD Congo.
Comment face à de telles évidences, l’Union européenne peut-elle continuer à faire l’hypocrite ?
Un reflexe moyenâgeux de pseudo-supériorité raciale ?
Il restera impossible de convaincre les Congolais qu’avant les élections 2011 soit égal à l’après élections 2011.
Cheik Fita
Bruxelles, le 17 février 2012