Ida Sawyer Directrice Afrique Centrale de Human Rights Watch et Paul Nsapu Secrétaire Général de la FIDH, Fédération Internationale des Droits de l’Homme ont animé ensemble le samedi 6 octobre 2018 à Bruxelles une conférence autour des thèmes suivants :
- Le rôle positif ou négatif des multinationales sur le continent africain,
- L’élection ou insurrection en décembre 2018, en rapport avec l’article 64 de la constitution de la RD Congo.
C’était sur initiative de l’asbl Change, dans le cadre de la quinzaine de Solidarité de la ville de Bruxelles.
A moins de 80 jours des élections congolaises, qu’ont dit les deux défenseurs des droits de l’homme de grande renommée internationale ?
Ils ont dépeint une situation inquiétante du processus électoral congolais.
Ida Sawyer a d’abord rappelé le point où l’on se trouvait : Le deuxième et dernier mandat de Joseph Kabila a pris fin en décembre 2016,
- Depuis 2015, Kabila et ceux qui sont autour de lui ont utilisé la violence, la corruption , la répression et toutes les stratégies possibles pour ne pas organiser les élections et pour essayer de renforcer le pouvoir de Joseph Kabila,
- Le clan Kabila a tenté de changer la constitution pour mettre fin à la limite des mandats,
- Le processus de recensement a été alourdi,
- Il y a eu création de plusieurs foyers d’insécurité…
Face à ces manœuvres, le peuple congolais a montré sa volonté de voir la constitution respectée et a cherché d’obtenir des élections crédibles. Le peuple congolais voulait et veut toujours qu’il y ait changement de leadership à la tête du pays.
Plusieurs manifestations ont ainsi eu lieu.
Et en réponse, le pouvoir de Joseph Kabila a réagi par une répression systématique. Près de 300 personnes ont été tuées par les forces de l’ordre, plus de 1800 personnes ont été arrêtées. Parmi les personnes arrêtées, beaucoup d’activistes et d’opposants ainsi que des journalistes. Plusieurs personnes ont été détenues et la plupart le sont toujours. Ces longues détentions ont eu lieu à l’ANR, le service congolais de renseignement. Les personnes ont été détenues sans chef d’accusation valable ou transférées à la justice pour des procès très politiques…
Lors des manifestations, les services de l’ordre employaient régulièrement le gaz lacrymogène contre les manifestants et tiraient souvent des balles réelles.
Cela a été le cas en janvier et février 2018 lors des manifestations organisées par le CLC, Comité Laïc de Coordination. Les forces de l’ordre ont tiré même dans les églises.
Grâce à la mobilisation de la population, aux pressions de la communauté internationale, grâce aux sanctions sur les responsables des violations des Droits de l’Homme ou impliquées dans des manœuvres pour freiner le processus électoral, le clan Kabila a accepté de publier enfin le calendrier électoral.
Les élections devant avoir lieu avec deux ans de retard.
Durant longtemps, Joseph Kabila a maintenu le silence sur son éventuelle candidature ou pas, quoiqu'au mépris de la constitution.
C’est le 8 août 2018 enfin qu’il a désigné son dauphin, à quelques heures du délai butoir de dépôt des candidatures à la présidentielle.
Même si cela a été une étape importante vers les élections, la RD Congo est toujours loin des élections crédibles et transparentes attendues pour les raisons suivantes :
- La répression n’a pas cessé,
- Des candidats de l’oppositions ont été exclus du processus ou empêchés d’y prendre part,
- La machine à voter que la CENI veut utiliser a toutes les allures d’une machine à fraude, son utilisation pouvant engendrer des problèmes logistiques énormes,
- Le fichier électoral compte plus de 6 millions d’électeurs fictifs,
- Les médias de l’opposition ou proches de l’opposition sont fermés ou menacés d’être fermés,
- La CENI, la Commission Electorale Nationale Indépendante donne peu de signes d’indépendance,
- Les cours et tribunaux sont inféodés au régime,
Un tel contexte n’est pas du tout bon pour des élections crédibles et indépendantes.
Où allons-nous ?
Ida Sawyer a donné quatre scénarii.
- La possibilité d’un retard pour des raisons (vraies ou fausses) techniques, financières… Cela donnera à Joseph Kabila L’opportunuité de renforcer sa main mise sur le pouvoir,
- Le respect des dates avec risques programmés d’ élections chaotiques et , résultats pas respectés, des contestations, de la violence, la répression, des troubles, et en bout de course, pas de solutions aux problèmes du pays,
- Avec des pressions fortes durant le temps qui reste, le régime pourrait faire quelques changements et aboutir à des conditions minimales : par exemple, pas de machine à voter, libération des prisonniers politiques, accès aux médias…
- L’application de l’article 64, avec le soutien des acteurs de la région , et déboucher sur une transition sans Kabila…
Mais ce scénario présente beaucoup de risques : avec quel leader ? Comment gérer les forces ? Comment éviter la violence ? Sera-t-il possible de planifier les actions en évitant la violence ?
Paul Nsapu a débuté son intervention par un proverbe :
« Aide-toi le ciel t’aidera ». Sous-entendu :le peuple congolais doit se prendre en charge.
Pour Paul Nsapu, à ce stade du processus électoral, la société civile (au pays et dans la diaspora) a une très grande responsabilité à assumer et un grand rôle à jouer.
- Il faut nous organiser et organiser le peuple,
- Une grande dynamique et une grande synergie doivent être derrière tous les contacts avec la communauté internationale par la CENCO par exemple.
Même si jusqu’à présent le régime de Kabila est quelque peu soutenu au niveau international par la Russie, la Chine et quelques pays de l’Amérique latine, il faut épingler la prise de conscience de quelques acteurs internationaux dont les pays de la SADC par exemple.
Mais nous-mêmes les Congolais devons d’urgence nous mobiliser et impulser l’opportunité actuelle de changement.
Il est superflu d’attendre quoi que ce soit de Kabila qui a raté en 2016 l’occasion de partir par la grande porte. Dans l’entre-temps, il a aggravé sa situation avec différentes violations des Droits de l’Homme. Et il a peur de l’après pouvoir.
Quant aux leaders politiques, pour Paul Nsapu, il est grand temps pour qu’ils mettent de côté leurs ego.
N’eurent été les actions du CLC au dernier trimestre de 2017, Joseph Kabila aurait réussi à mettre une croix sur les accords de la Saint Sylvestre. A ce moment-là, les politiciens avaient été très peu visibles.
Il est de la responsabilité de l’élite congolaise de mettre en place de bonnes stratégies pour la communauté.
En conclusion. Espoir ou désespoir ?
Pour les deux défenseurs de droit de l’homme, il y a un brin d’espoir :
Ida Sawyer a relevé d’abord l’attribution du Prix Nobel de la Paix au Dr Mukwege. Elle a félicité ce dernier et a dit que c’était un honneur énorme pour le Congo. Elle a rappelé que Dr Mukwege était un activiste des droits de l’homme et de la démocratie. Qu’il était engagé pour de bonnes élections. La nouvelle stature de Dr Mukwege est un élement d’espoir pour le processus électoral congolais, ajouter à cela le travail de tous les mouvements citoyens ainsi que du CLC... Il existe ainsi une petite lueur d’espoir pour le changement.
Pour les deux défenseurs des Droits de l’Homme, durant les deux mois et demi qui restent, les Congolais doivent s’organiser pour réussir l’observation des élections.
La communauté Internationale enverra certes des observateurs, mais ceux-ci sont limités.
Les meilleurs observateurs, ce sont les électeurs eux-mêmes.
Paul Nsapu attirera l’attention des leaders politiques sur une initiative qui est déjà avancée, prise par la plate-forme « Antenne Monde de la Société Civile de la RD Congo »: Cette plate-forme conçoit actuellement une application avec des partenaires indépendants.
Ce qui permettra un décompte parallèle des résultats avec l’avantage d’être plus rapides. Pour cela les partis politiques engagés dans le processus électoral doivent prendre langue avec la plate-forme AMSC-RD Congo pour les modalités pratiques de collaboration. La plupart de ces leaders ont déjà été informés du projet.
Si cette action réussit, la RD Congo peut espérer sortir de l’obscurantisme imposée par Kabila et les siens.
Bruxelles, le 7 septembre 2018
Cheik FITA